- COMENIUS
- COMENIUSJan Amos Komenský, ordinairement désigné sous son nom latin Comenius, est, après Jan Hus, la personnalité la plus marquante et la plus noble de la culture tchèque: il en incarne les traits essentiels et permanents, les élevant à la qualité de valeurs universelles.Une existence traquéeSeule la première moitié de sa vie, celle de ses années de ministre réformé et de recteur dans les écoles latines de la communauté des Frères bohêmes de sa province natale – il est né à Brod en Moravie –, appartient à sa patrie; banni, en 1621, à la suite du désastre des États insurgés de Bohême à la Montagne-Blanche, il quitte en 1627 son dernier refuge clandestin en Bohême et s’en va partager dans l’émigration le sort commun des Tchèques de foi réformée. Il mène à travers l’Europe, jusqu’en 1656, une existence traquée par la guerre et la haine politique et religieuse. Sa renommée de savant et son autorité morale qui ne cessent de grandir lui valent, de la part des puissances établies, des sollicitations auxquelles il accroche vainement des espoirs de secours politique pour sa nation: 1628-1641, premier séjour à Leszno en Pologne, au milieu des Frères réfugiés; 1641-1642, à Londres d’où l’effervescence de la guerre civile le chasse; 1641-1648, à Elbing sur la côte baltique, dans le service suédois; 1648-1650, deuxième séjour à Leszno; 1650-1654, à Sarospatak, à la cour des Rakoczy, princes calvinistes de Transylvanie; 1654-1656, troisième séjour à Leszno. En 1642, Komenský décline l’invitation de Richelieu à venir s’établir en France; il ne donne pas suite non plus à l’offre, venue d’Amérique, de fonder à Harvard un enseignement pansophique, c’est-à-dire celui d’un vaste système du savoir. En 1648, juste à la veille de la paix de Westphalie qui enterre définitivement l’espoir d’un retour de l’émigration tchèque, il est élu évêque de son Église dans la diaspora et en sera le dernier. Sur les instances de ses mécènes hollandais, les Van Geer, Komenský s’établit en 1656 à Amsterdam où il demeurera jusqu’à sa mort; incapable de renoncer au rêve d’une Bohême rappelée à la liberté et régénérée par la foi et l’enseignement, sombrant de plus en plus dans un mysticisme millénariste et prophétique, il y consacre ses quatorze dernières années aux soins de son troupeau dispersé et périclitant, au parachèvement de son immense synthèse pansophique et à la publication de ses ouvrages pédagogiques.Un homme universelPoésie, prose, théorie littéraire, théologie et pastorat ecclésiastique, sciences humaines, philosophie, pédagogie, organisation de l’enseignement, tels sont les domaines de l’œuvre innombrable, tchèque et latine, de Komenský, que des découvertes d’ouvrages inconnus n’ont cessé de révéler jusqu’à nos jours; elle représente la synthèse des traditions mûries de l’hussitisme, de l’humanisme chrétien comme des ferveurs spirituelles et morales de son époque baroque. Réformateur des lettres, Komenský définit le programme d’un classicisme national et fonde un art poétique nouveau sur la prosodie antique. Par ses paraphrases hymniques des psaumes, il donne à la nouvelle poésie des modèles. Il conçoit une réforme de l’art oratoire. Philologue savant, il rassemble les matériaux d’un Thesaurus linguae bohemicae où les mouvements postérieurs de régénération de la langue nationale déchue viendront s’abreuver. Théologien, il dote son Église d’une dogmatique définitive, qu’il consigne eans un sermonnaire monumental. Les Frères ayant toujours fait consister l’essence de leur culte dans le chant, il rédige un magnifique Livre de cantiques. Berger d’un peuple en détresse, il lui trace les voies d’une fuga saeculi vers l’union avec le Dieu d’amour, habitant dans le cœur de l’homme: Le Labyrinthe du monde et le Paradis du cœur (Labyrint sv face="EU Caron" ガta a ráj srdce ), roman parabole, 1623. Consolateur désespéré, il s’initie et s’exalte lui-même aux chimères des visionnaires millénaristes populaires (Lux in tenebris , 1657; Lux e tenebris , 1665). L’Homme du désir inextinguible (Vir desiderii inextinguibilis ), il lègue aux siècles chrétiens futurs l’essence de la doctrine des Frères dans le Testament de l’Union fraternelle. Notre mère mourante (Kšaft umírající matky jednoty Bratrské , 1650), et fait ses adieux personnels aux hommes dans la touchante confession de sage chrétien de l’Unum necessarium (1668).Une pédagogie de l’unité: la pansophiePour le monde, Komenský est surtout le représentant du pansophisme de l’époque baroque de la civilisation européenne, ainsi que de l’irénisme et de la nouvelle pédagogie qui en découlent. Se fondant sur les idées de l’unité et de l’harmonie de l’Acte créateur divin, donc de la finalité commune de l’existant – omnia ab Uno, omnia ad Unum , tout procède de l’Un et tout tend vers l’Un –, persuadé, par conséquent, que les domaines de l’être se correspondent et se reflètent, Komenský conçoit la pansophie comme un système de savoir humain réformé. Partant des sciences de la nature, s’élevant par celles de l’homme à la philosophie, science de l’esprit, et culminant dans celle, la plus haute, des réalités divines, ou théologie, la pensée ressaisirait l’unité perdue de l’ordre de l’expérience et de l’ordre du salut et, rétablissant l’accord des deux lumières – la raison naturelle et la grâce – dont Dieu a doté l’homme, rebâtirait l’ensemble des sciences à la fois comme connaissance rationnelle et comme vision de toute chose en Dieu. Héritière du symbolisme médiéval et du néoplatonisme renaissant de l’Académie de Florence, la pansophie coménienne, dernier grand défi jeté au rationalisme empirique moderne, est une réplique, sur le plan de la connaissance, du mysticisme cosmographique de ses contemporains allemands Czepko et Jakob Boehme, et de la vision poétique du monde «par analogies universelles» du dramaturge espagnol Calderón. Tout au long de son existence, Komenský en approfondit les principes et en réalise des parties dans une série d’ouvrages: Discours de pansophie (Pansophiae prodomus , 1639; Pansophiae diatyposis , 1643), Consultation catholique sur l’amendement des choses humaines (De rerum humanarum emendatione consultatio catholica , deux volumes en 1662, six volumes découverts à Halle en 1935). Proposant une nouvelle classification des sciences, Komenský veut en assurer l’organisation et le progrès par un Collegium Pansophicum, académie mondiale qui créerait une nouvelle langue savante internationale, faciliterait les contacts spirituels internationaux et veillerait en même temps à la propagation de la paix universelle (irénisme) qui devrait débuter par la réunification des Églises chrétiennes: La Voie de la lumière (Via Lucis , 1642), L’Ange de la paix (Angelus pacis , 1667). Logique et conséquent dans ses efforts pour établir un «ordo ordinum» universel, spirituel, moral et physique, Komenský en vient dès ses jeunes années à l’élaboration d’un nouvel art d’enseigner, moyen par excellence de la refonte de l’homme. Schola officina humanitatis , telle est la devise révolutionnaire de la pédagogie coménienne, une école donc qui serait productrice de l’homme humain, se proposant le développement de la qualité même d’homme au lieu d’un dressage professionnel ou d’une préparation à des fonctions sociales définies. Il expose les principes de cet enseignement général, le même pour toutes les conditions et les deux sexes, dans La Grande Didactique (Didactica magna seu omnia omnes dicendi artificium , 1632, éd. tchèque 1649, éd. latine 1657). Il ne néglige pas la didactique spéciale, se montrant génial dans l’enseignement de la prime enfance, où il possède l’art de se faire petit avec les petits, et invente la méthode des leçons de choses (Schola ludus , 1657; Orbis pictus , 1658), et dans l’enseignement des langues, où la méthode intuitive de La Porte ouverte sur les langues (Janua linguarum reserata , 1631), emporte immédiatement tous les suffrages, à commencer par ceux des Jésuites qui l’adoptent dans leurs écoles.En philosophie, Leibniz, Malebranche, Herder s’inspireront de la pansophie de Komenský. Le pacifisme moderne l’invoque au titre de grand prédécesseur. La franc-maçonnerie du siècle des Lumières inclut, dès 1717, des textes de Komenský dans ses règles. De Franck à Zinzendorf, le piétisme allemand l’adopte comme maître et se fait gardien de son héritage manuscrit. Les «Moravians» (Moravian Church) des États-Unis sont ses descendants théologiques et moraux directs, ce qui indique l’importance de l’apport coménien à la culture américaine naissante. De la vue des Moraves d’Allemagne, Mme de Staël tire son image du génie religieux allemand pour en faire une pierre de base de l’idéologie du romantisme français naissant. Toute la pédagogie nouvelle fait siens les principes du «Galilée de l’éducation» (Michelet); la conception occidentale de l’organisation de l’enseignement vient de lui.
Encyclopédie Universelle. 2012.